Pedro Atias, qui se présente au public avec simplicité et naturel, a dû bien entendre cette supplique extraite d’Ecuador, qui traverse toute l’œuvre de manière quasiment testamentaire. Soif d’éternité et d’absolu pour cette âme discrète capable de faire surgir de soi cette poésie des profondeurs, dans une langue magnifique, précise, sans concession. Le metteur en scène, Nuri Sorribas, a compris tout le bénéfice qu’il pouvait tirer de la salle assez intime du théâtre Darius-Milhaud où le public, très proche du plateau, jouit de sa proximité avec le comédien. Il épouse l’itinéraire nocturne de P. qui, dans le silence de sa petite chambre, en se déplaçant d’un objet l’autre, d’une couverture à terre, le lit, à une table, d’une bouteille de vin à quelques libres restés fermés, laisse son esprit donner vie à "ses Propriétés", que chacun peut retrouver dans La Nuit remue.Dans sa postface de 1934, Henri Michaux s’expliquait : "Par hygiène peut-être j’ai écrit Mes Propriétés, pour ma santé (…) Il arrive au contraire à certains malades un tel manque d’euphorie, une telle insatisfaction aux prétendus bonheurs de la vie, que pour ne pas sombrer, ils sont obligés d’avoir recours à des idées entièrement nouvelles jusqu’à se reconnaître et se faire reconnaître pour napoléon 1er ou Dieu le Père. Ils font leurs personnages selon leurs forces déclinantes, sans construction, sans le relief et la mise en valeur, ordinaire dans les œuvres d’art, mais avec des morceaux, des pièces et des raccord de fortune où seule s’étale la conviction avec laquelle ils s’accrochent à cette planche de salut. Mentalement ils ne songent qu’à passer à la caisse."C’est bien cela que sait exprimer avec intelligence et sensibilité Pedro Atias dans ce Voyage autour de ma chambre où il porte au mieux cette parole poétique née de l’urgence d’une survie ou de la tentative des réparation psychiques de tous les malheureux dont l’estomac trop délicat ne parvient pas à digérer toutes les illusions sociales fallacieusement tendues. Le comédien, en phase avec cet univers profond et singulier conduit, dans le plaisir, les spectateurs dans l’art du décalage, dans la géographie étonnante des associations libres et de l’ellipse, des décrochages temporels ou thématiques. Il rend proche la subversion des logiques rationnelles strictes. Il hisse l’humour à son meilleur rang : au service de l’une des plus pures émotions, celle née de la tentative de s’approprier la solitude, le sentiment de sa radicale différence, célébrés par la musique des sons et des mots les plus nécessairement mariés, dans le rythme et dans le choc.
Altitude… Soltitude... Espace de l’âme...Merci à Pedro Atias, à toute La Compagnie qui l’a accompagné, au théâtre Darius-Milhaud dont l’accueil est véritablement chaleureux, qui ont rendu accessible la poésie secrète, ésotérique du très discret mais immense Henri Michaux, dont l’œuvre traverse le temps sans vieillir ni s’amoindrir, provoquant, éblouissant, toujours. Accessible à tous, puis à chacun selon son désir d’aller un peu plus loin dans cette œuvre qui est celle d’un des Poète du vingtième siècle. Lecteurs pressés, s’abstenir ! La puissance du sens dite sans vanité se livre parfois peu à peu. Règle si fréquente des grandes œuvres. Mais alors...