Chasselay, Château de Machy, 20 heures. On est reçu très amicalement par l’équipe du théâtre de l’Arc-en-ciel ; l’ambiance est sereine ; l’assiette champêtre servie dans le parc du château est appétissante ; une petite brise agréable se lève ; c’est un de ces petits moments de bonheur qu’il faut savoir savourer. Cour intérieur du château, 21 heures. Installés sur la petite estrade montée pour l’occasion, emmitouflés (car la brise a rafraîchi l’atmosphère) dans les couvertures généreusement prêtées par les organisateurs, nous autres spectateurs frileux attendons le début du spectacle. Il s’ouvre en musique : en retrait sur la scène, deux musiciens, masqués par un voile, interprètent des partitions de Marin Marais, compositeur du temps de Louis XIV et donc de Racine. La viole de gambe et le théorbe, résonant dans la cour du château, nous plongent ainsi rapidement dans une ambiance très XVIIe siècle et donnent le ton : celui de la tragédie. Car Andromaque est bien une tragédie, une tragédie dans la tradition classique, le premier grand succès de Racine. Communément désignée comme le drame des amours non partagées (Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui aime Hector, qui est mort !), elle comporte également une intrigue politique : Pyrrhus consolidera-t-il son alliance avec la Grèce en épousant Hermione ? Livrera-t-il Astyanax, fils d’Hector et Andromaque, aux Grecs ?... De quoi maintenir le spectateur en haleine. Sur une scène dépouillée, nichée entre deux bâtiments, la chaîne de ces amours malheureuses, contraires aux raisons d’état, va se dérouler lentement sous nos yeux.La lenteur sert la tension dramatique et l’émotion. Les comédiens nous laissent ainsi le temps de nous délecter du texte éminemment poétique de Racine. En déployant leurs voix, dont ils travaillent les inflexions, ils ravissent nos oreilles. De la belle voix grave de Jean-Denis Monory (Pyrrhus) à la voix de soprano de Ségolène van der Straten (Andromaque), c’est une véritable partition musicale qui se met en place. D’autant plus que les mots sont prononcés comme ils pouvaient l’être à la cour de Louis XIV : "r" roulés, consonnes finales prononcées, "oi" dits "wé"... Cela fait partie de la mise en scène "baroque" de Jean-Denis Monory et de la Fabrique à théâtre. Participe de la même intention baroque la scénographie, qui s’inspire des conventions de jeu du XVIIe siècle : des gestes très réglés, qui symbolisent états d’âme et émotions, aucun contact physique direct entre les acteurs, une posture figée face à la salle et aux bougies (qui éclairent les visages) pour déclamer le texte ; bref, une façon de jouer assez artificielle, telle qu’elle l’était du temps de Racine et jusqu’à la fin du siècle des Lumières. Le manque de naturel, qui en découle, empêche l’identification et pourrait être un frein à l’émotion, mais ce n’est pas le cas dans cette nouvelle Andromaque. Les comédiens sont suffisamment doués pour nous faire apprécier ce jeu très codifié ; ils nous le font même oublier et nous plongent dans l’histoire passionnelle et passionnante d’Andromaque, Hermione, Oreste et Pyrrhus. Saluons donc vivement les efforts de toute la troupe (costumiers, éclairagistes et musiciens y compris) qui nous emmène, en quelques heures seulement, au cœur du siècle de Racine.