Puisque La Fontaine se servait des animaux pour instruire les hommes, pourquoi ne pas mettre au premier plan ces hommes et leurs délires en déclamant les fables? Voilà le parti pris de cette joyeuse production de l'Ecla Théâtre, mise en scène par Alexandra Royan. Les acteurs y délaissent les déguisements animaliers (même si les clins d'œil qui évoquent subtilement l'apparence des corbeaux, renards ou lions sont nombreux...) et arborent les costumes tels qu'on peut les percevoir dans notre monde urbain. Ils évoluent dans des décors de Nemo, où là aussi l'être humain est toujours au premier plan.La Fontaine s'est inspiré de ses contemporains pour composer ses fables. Mettons donc en scène nos contemporains à nous pour souligner à quel point celles-ci sont toujours d'actualité.Le lièvre apparaît ici sous le visage d'un jeune de banlieue hyperactif et bien sûr de lui. Madame Tortue, quant à elle, se présente à nous comme une représentante du troisième âge, qui traîne derrière elle son chariot de courses (la "maison" qu'elle doit porter et qui clôt l'histoire). Ainsi, grâce à cette nouvelle présentation, lorsqu'elle lance son défi, et même si on connait le texte par cœur, on se met tout de même à douter du nom du futur vainqueur...La leçon que va recevoir le corbeau vaudra bien plus qu'un fromage : c'est ici un collier avec un signe de dollar au bout qui en sera le prix. La cigale se fait le chantre de l'art, mais doit subir à plein fouet la loi du marché, et la crise qui va avec.Les vingt fables présentées sont l'occasion d'autant de réinterprétations rafraichissantes – l'accompagnement musical de Sébastien Albilo à l'accordéon et de Sharon Evans aux percussions est dans ce sens là un soutien très précieux. Pourtant, l'aspect noir de la vision de la Fontaine n'est pas délaissé, les animaux malades de la peste sont là pour nous le rappeler.Attention tout de même : la langue du plus grand poète français du dix-septième siècle est très riche, il n'est donc pas question d'en comprendre toutes les subtilités (surtout pour un jeune public). Mais comme introduction de luxe dans l'univers de la Fontaine, il est difficile de faire mieux que cette Rue des Fables.