Didon et Enée
de Henry Purcell
Mise en scène de Giuliano Carella, Massimo Gasparon
On ne cessera jamais de s’émerveiller de ce minuscule chef-d’uvre qu’est Didon et Enée, cet opéra de poche écrit pour un pensionnat de jeunes filles sur d’assez mauvais vers d’un médiocre poète, sans possibilités de virtuosité vocale (puisque destiné à des voix juvéniles, amateurs de surcroit), sans aucun déploiement orchestral possible, et avec un déséquilibre dans la distribution : une seule voix d’homme au milieu de sopranos.Rappelons aussi que le manuscrit original est perdu et que musiciens et théâtreux doivent faire confiance à leur bon goût et connaissances musicologiques pour choisir l’enchaînement des morceaux qui leur paraît le plus conforme à l’idée qu’ils se font des malheurs de la reine de Carthage. Quelles conditions pour un chef-d’uvre ! Mais quoi qu’on fasse, sa musique nous poigne toujours.Et voici que cet opéra vient de trouver sa voix, sa dimension à dose homéopathique , en création à l’Opéra de Toulon. Jouant la carte de l’originalité, Massimo Gasparon, a choisi de nous donner sa version de Didon entre deux couches de l’Ode à Sainte-Cécile du même Purcell.Ode hélas empesée dans une illustration simplement décorative, un rien longuette, le tout, présenté, sans vergogne dans les décors somptueux et les costumes raffinés du Maître spirituel Pier-Luigi Pizzi déjà vus voici huit ans à Monte-Carlo pour un Viaggio a Reims de belle facture... L’art d’accommoder les restes ou de faire du neuf avec du vieux ?Loin des péplums, kitsch, sans ostentation, d’un merveilleux drapé classique bon chic-bon genre, nous baignons donc dans une atmosphère très Restauration poudrée à la Charles X, cette transposition finalement ne gêne pas. D’autant qu’Anna Caterina Antonacci campe une grande Didon, si fraîche, si lisse, que sa voix nous fait brusquement comprendre que son amour pour Enée a pu être un premier, un tout premier amour d’adolescente. D’une grandeur toute racinienne, d’une violence mesurée, elle nous empoigne dès son entrée et ne nous lâche plus. Le pathétique dès lors se redouble de cette innocence. Contraste au dernier air, rendu bouleversant, par l’insupportable souffrance qui naît de cette fraîcheur. Avec en prime l’émotion, sans la sentimentalité. Visage et voix sont sublimes de beauté.Mention spéciale pour l’Enée de Markus Werba, jouet tourmenté d’un destin impitoyable, baryton sonore et viril, qui n’est plus ici un personnage falot mais un être volontaire, hésitant dans une belle gestuelle entre amour et devoir.Le rôle de Belinda va comme un gant à Sophie Desmars, elle y est claire, optimiste, intelligente et efficace. Sans tomber dans le grotesque Svetlana Lifar fut une grinçante magicienne. Les autres nombreux petits rôles sont bien en place. Comme le continuo de la Compagnie des Bijoux Indiscrets et le clavecin de Claire Bodin.Comme Bach, Purcell ne supporte aucun effet superflu. Giuliano Carella propose des deux uvres une lecture haute en couleur, nuancée, fluide, spacieuse et d’une belle vivacité rythmique. On sera plus réservé pour les churs, visiblement peu à l’aise dans ce répertoire baroque, malgré une bonne volonté évidente.
Christian Colombeau
22/04/2011
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