Pourquoi j’ai jeté ma grand-mère dans le Vieux Port
de Serge Valletti
Mise en scène de Christophe Correia
Avec Nathalie Roussel, Jean-Marie Burrucoa
Fable haute en couleur et débordante de vie au coeur d'un Marseille presque disparu
"C’qui fait chaud là-dedans", me disais-je en attendant comme les autres, ma place à la caisse. Dans le hall d’entrée du théâtre, on est serrés comme des sardines. "C’est un avant goût du spectacle", me dis-je pour me donner du courage. Deux personnes pour surveiller le flux du public, c’est pas beaucoup. Pour un théâtre aussi prestigieux que celui-là, avec son aventure légendaire, Gérard aurait pu faire un petit effort d’accueil et de coordination malgré la grève. Après m'être battue comme une chiffonnière, d’avoir payé ma place, nous rentrons dans la salle. La lumière se baisse et l’aventure commence...Une brave fille est devant nous. On ne sait pas comment elle se prénomme, mais on sait qu’elle a jeté sa grand-mère dans le Vieux Port. Ah Bon ? "Ben, oui !", nous répond-t-elle. On en est estomaqué et on a peur qu’elle l’ait tuée. "Mais non ! C'est pas ça, rétorque-t-elle, à sa mort, je l’ai incinérée". Ouf, on préfère ! "Voulez-vous que je vous raconte sa vie ?"... Heu... Oui ! On est là pour ça. Et hop ! L’existence de la grand-mère, de ses parents, de ce Marseille des années trente à aujourd’hui défilent. Sous nos yeux, les cigales chantent, la mer nous ensorcelle, les gens du Vieux Port nous apostrophent. A travers cette femme-enfant, le bonheur des riens de la vie survient au bord de la scène comme les vagues qui atteignent le sable. Cette longiligne brune fait revivre son père, un grand Monsieur qui devait devenir baryton à l’Opéra de Marseille malgré la désapprobation de sa mère qui le voyait Pape. Il ne deviendra ni baryton, ni pape, mais papa sûrement de cette grande fille légère et tendre comme le mistral.Profondément attachée à sa grand-mère, elle jettera ses cendres à la corniche du Vieux Port car son aïeule a profondément aimé cette ville, ses quartiers de Marseille comme le Panier et plus particulièrement la Place aux Huiles. Elle y vivra les meilleurs moments de son existence où, servante dans un resto, elle organisait des courses avec ses collègues jusqu’à la Bonne Mère avec une pastèque sur la tête pour gagner un repas. On assistera aux querelles conjugales des grands-parents, tenanciers d’une hôtellerie, où les reproches de la mamé au papé pour ses retards constants au turbin deviennent une anecdote familiale savoureuse.Vous l’aurez compris, comme pour une bonne bouillabaisse, tous les ingrédients sont présents : une prestation formidable de l’actrice Nathalie Roussel qui sert ce texte ensoleillé de Serge Valletti. Retenez donc l’auberge du Chêne Noir pour ce menu de début d’après-midi.
Anne Laroutis
17/07/2003
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