L'Ile des esclaves
de Marivaux
Mise en scène de Eric Massé
Avec Angélique Clairand, Jézabel d’Alexis, Thomas Poulard, Jean-Philippe Salério, Dominique Unternehr
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Du 07/10/2005 au 22/10/2005
Mardi au samedi à 20 h 30.
Les Célestins
4 rue Charles-Dullin
69002 LYON
Métro Bellecour
04 72 77 40 00
Site Internet
L’île de la cruauté
Tout commence avant le spectacle, ou plutôt, le spectacle commence avant l’entrée scène des comédiens. Alors que nous autres spectateurs sommes regroupés devant l’entrée de la "petite salle" (nouvellement créée aux Célestins) et bavardons bruyamment, surgit soudain un homme, debout sur le bar, qui déclame une tirade, sorte de prologue à la pièce : Est-ce un fou ou, tout simplement, la pièce qui commence ? La deuxième hypothèse étant, bien évidemment, la bonne, tous les (futurs) spectateurs se taisent petit à petit et écoutent le (futur) Trivelin de L’Ile des esclaves s’emporter contre les injustices de la société humaine, avant d’être invités à pénétrer dans l’antre. Car c’est d’une antre qu’il s’agit : la petite salle est plongée dans l’obscurité, une épaisse fumée surprend tout le monde, masquant les lieux ; pour seul point lumineux : un projecteur halogène qui éblouit quiconque jette un œil du côté de la scène. L’atmosphère est posée : nous entrons dans un monde hostile ; cette "île des esclaves" est a priori bien peu accueillante. Ce qui se confirme assez rapidement : Eric Massé fait ressortir toute la cruauté qui était sous-jacente dans l’œuvre de Marivaux. Chez le dramaturge du XVIIIe siècle, deux maîtres (un homme et une femme) et leurs deux domestiques (une suivante et un valet) échouent sur une île où des anciens esclaves ont pris le pouvoir. Ces derniers, après avoir tué tous les maîtres qui se présentaient dans un premier temps, ont décidé de laisser la vie sauve aux nouveaux arrivants, mais de les "rééduquer" (le mot fait peur !). Les quatre naufragés vont ainsi être invités à échanger leurs rôles ; le fait, fréquent chez Marivaux (voir Le jeu de l’amour et du hasard, par exemple), devient beaucoup plus qu’un simple jeu ici : les valets vont user et abuser de leur nouveau pouvoir et exercer, à leur tour, une tyrannie sur leurs anciens maîtres. La nature humaine, et surtout sa vanité, se montre alors sans toute sa splendeur. Qui se retrouve au pouvoir se laisse griser et assouvit sa soif de domination. Voilà ce que suggérait Marivaux, qui s’empressait tout de même de faire rentrer les choses dans l’ordre.La mise en scène d’Eric Massé souligne cette réflexion sur la cruauté humaine. Tout en conservant le texte original, le metteur en scène accentue le caractère monstrueux de l’expérience insulaire. Les corps sont mis à nu (au propre comme au figuré), ce qui abolit tout repère social, tout privilège de classe : il n’y a plus de valet ou de maître qui tiennent ; juste des hommes, qui laissent libre cours à leurs pulsions. Et des acteurs, tous excellents, qui s’en donnent à cœur joie. Prenant place dans des sortes de cages grillagées ou vitrées, sous la lumière des néons, ils sont réduits aux rôles de cobayes... Ca ne vous rappelle rien ?... Une île, quatre cobayes, hommes et femmes, une sorte de maître du jeu, présentateur du divertissement, et le public (censé constitué cette république îlienne) parfois pris à parti... Réfléchissez bien ! Et si vous ne voyez toujours pas, on ne peut que vous inviter à aller vous plonger dans l’atmosphère si particulière de cette petite salle. Certes L’Ile des esclaves est un "classique" du théâtre, joué et rejoué, vu et revu, mais cette mise en scène-là le réactualise étonnamment et brillamment.
Caroline Vernisse
14/10/2005
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