Spectateur averti de scène conventionnelle, changer de trottoir et toquer à la porte du théâtre le Funambule pour assister à une performance des plus originales. Au n°53 de la rue des Saules, au pied de la cheville ouvrière de Montmartre, le Funambule accueille jusqu'au 19 juin un spectacle où l'imprévu donne rendez-vous avec des personnages pour le moins coquets et déjantés. Une pièce écrite par les doigts dégourdis d'un jeune auteur, Christophe Delort, également connu en tant que comédien pour son seul-en-scène Moi je dis ça je dis rien, joué à Paris, en Province et au Off d'Avignon en 2010.Sa nouvelle pièce, Australopithèques modernes, se veut un pamphlet composé de dix saynètes dénonçant les travers de la vie courante. L'absurdité rencontre l'irrationnel sur une gamme de mots en sol pleureur. Une écriture vive épicée de mots dosés sans modération d'absurdité à la Monty Python, une pointe de jeux de mots à la Pierre Dac, un soupçon de délirium aigu façon Jean-Michel Ribes. La recette est soignée, mitonnée avec goût et dérision, servie sur un plat de rires et quelques larmes gouleyantes dans le palais de la bonne humeur.La rampe de lumière s'allume sur la scène plongée dans la pénombre et laisse découvrir le menu de la soirée affiché sur une ardoise : dix plats à lire dans un premier temps, à déguster et à apprécier à chaque virgule consommée.Pour servir le spectateur, deux hôtes, un homme et une femme, se présentent à la salle. Chacun assis dans un youpala entame le service en apportant des précisions scientifiques sur les conséquences de l'embryon. Médecin à sens unique, les débats vont bon train et la réflexion fait jour sur une série de questions tags de leçon anglaise. La phonétique de Shakespeare, un yaourt aromatisé à la gelée Royale.Les rires forment une ola de siège en siège, de rangée en rangée. La suite du spectacle est au paradoxe de l'hypnose. Les yeux suivent allègrement les déplacements habilement circulés sur le plateau. Les oreilles se prêtent au jeu des saynètes successives en prenant au passage chaque mot illustré d'allégorie imaginaire. Le ton librement donné s'intensifie selon le contexte évoqué.Ctrl-Alt-Suppr : attention de ne pas appuyer sur ces trois touches synonymes d'effacement total. Dans cette pièce, il faut tout enregistrer à défaut d'avoir des fichiers corrompus sur le disque dur de l'existence. La mise en scène de Didier Brice s'appuie sur des univers d'expériences traversées par des quidams et magistralement destitués à contre-courant. Le ridicule de situation se fond d'aise dans un méli-mélo d'absurdité. La folie accroche son filet à l'anse de la sincérité. Le désordre est total, l'inattendu mise sur l'effet de surprises, l'exagération rime avec désillusion, tentation avec captation.Le texte est de toute beauté car répliqué sur le ton de l'humour déplacé par deux bons interprètes, Mylo et Emmanuel Dabbous. Ils apportent beaucoup de fraicheur à cette pièce contemporaine. Les saynètes désaccordent le fil conducteur d'une histoire fictive et improbable.Australopithèques modernes, une performance de qualité qui déjoue les codes du monde d'aujourd'hui tout en respectant les valeurs instituées par l'homme.