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 Intrigues, incompétence, complots, passe-droits et courtisaneries...
C’est désormais une tradition au théâtre de l’Athénée: chaque année, à l’approche des fêtes de fin d’année, la compagnie Les Brigands est à l’affiche avec un spectacle où lyrique rime avec comique. Les opéras bouffes de Jacques Offenbach font partie de leur choix de prédilection, et en cette fin d’année 2013, c’est sur la Grande-Duchesse de Gerolstein que leur dévolu s’est jeté. Gérolstein, c’est cet état imaginaire où règne une duchesse, grande par son appétit d’hommes, aimant tout particulièrement les militaires et fantasmant ouvertement sur leurs épées.
Isabelle Druet, qui campe ici le personnage éponyme, s’en donne à cur joie dans cette parodie guerrière où malgré, ou plutôt grâce à un jeu tout en subtilité, elle parvient à faire ressortir l’aspect totalement burlesque de la situation. Composée à peine trois ans avant la tragique trilogie guerrière qui secoua notre pays (guerre franco-prusse, guerre 14-18 puis 40-45), l’uvre d’Offenbach, en précurseur du théâtre de l’absurde, se moque ouvertement des conflits armés. Le patronyme dont il affuble celui qui a fait de la guerre sa raison de vivre est plus explicite que de longs discours pacifistes: le général Boum, qui, pour en rajouter, entre en scène sur une musique faisant ouvertement et délicatement "Pif paf pouf, tara papapoum".
Mais les militaires ne sont pas seuls à en prendre pour leur grade : la noblesse, qui se joue littéralement des hommes, est ouvertement moquée. Trop gros pour être vrai ? Tel était l’avis de la censure du Second Empire qui laissa jouer l’ouvrage sans qu’il n’y eût rien à redire...
Parmi les trouvailles de cette production, notons en premier lieu l’ingénieuse disposition des musiciens, qui font partie intégrante non pas du décor, mais des décors successifs. Habillés comme les autres militaires, et tatoués tout autant, la disposition de l’orchestre évolue en fonction des scènes. Au début, on craint un certain tohu-bohu sur le plateau du théâtre de l’Athénée dont la taille est assez réduite, mais rien n’est à craindre de ce côté là et les différents tableaux se succèdent merveilleusement bien sans qu’aucun temps mort ou baisse de rythme ne soit à signaler. Fidèle à la stratégie de guerre du général Boum, les musiciens se trouvent successivement “à gauche, à droite puis au centre” de la scène. Même le piano subit un déménagement, devenant notamment l’élément de décor principal lorsque le prince Paul raconte ses déboires après avoir lu comment la gazette de Hollande étale au grand jour sa vie privée. En guise de réponse, laconique, la duchesse se contentera de tapoter quelques notes supplémentaires sur le clavier...
On a souvent souligné que le génie d’Offenbach réside aussi dans le fait qu’en parodiant certains de ses contemporains, il nous fait entendre une musique non moins délicieuse que celle qui est parodiée. On pourrait en dire autant de certains passages dramaturgiques, qui sous couvert d’une certaine moquerie, fait l’écho de certaines grandes scènes du répertoire: celle où la duchesse tente de faire comprendre à Fritz que celle-ci souhaiterait que leur relation dépassât le simple stade de l’amitié ou du rapport professionnel n’est pas exempte d’une tendresse réelle quelque peu amère, et n’est pas sans rappeler non plus l’infante qui dans le Cid ou Ophélia qui dans Hamlet ne peuvent vivre leur amour pour cause de l’écart de rang qui existe entre les deux personnages.
Le vrai génie se moque du génie, voilà ce qu’Offenbach n’a cessé de revendiquer, et c’est aussi ce que cette production, par toutes ces qualités musicales et théâtrales, souligne si merveilleusement. |
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Mis à jour le 22/12/2013
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