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 Aubergiste, apportez-moi Ă manger le plat du jour, un pichet de vin, du pain, un tasse de reconnaissance et un verre Ă liqueur d'amour.
La compagnie des Déménageurs Associés emménagent dans le Théâtre Berthelot, sis à Montreuil-sous-Bois, pour donner plusieurs représentations de la pièce non moins célèbre de l'auteur vénitien Carlo Goldoni, La Locandiera. Le théâtre confiné dans une petite rue de cette charmante bourgade en périphérie de Paris possède une scène offrant des perspectives très intéressantes pour jouer des comédies-bouffes. Que dire de la salle grande et spacieuse, une excellente acoustique, les fauteuils comme chez soi confortablement installé, l'accueil : une porte qui, bien avant l'heure dite, s'ouvre avec pour toute clé un bonjour convivial et un sourire à vous réchauffer le corps. Dehors, le froid est sibérien, un vent à vous emporter la mémoire.
Le sésame pour rentrer dans la salle, c'est un petit Monsieur, avec un M majuscule, vous comprendrez plus loin, qui vous le remet. D'entrée, Il vous honore d'un bienvenue ou encore bon spectacle, sous son il rieur, la barbe du matin de vous rappeler que la soirée est déjà bien avancée. La bonne humeur régnant au Berthelot, il est grand temps que les portes de la salle s'ouvre sur...
Sur le plateau, furtivement un lutin passe et disparait derrière un piano. Attention, il ne s'agit pas de n'importe quel piano. Celui-là n'est pas à queue. Il se compose d'une batterie, parfaitement d'une batterie de casseroles, poêles et faitouts ; en suspension, cuillères, spatules et fouets filent droit sous les coups de boutoirs de quelques marmitons à taper allègrement sur les gamelles. Le ton, c'est bon quand il résonne, sur scène, les comédiens chantonnent, fanfaronnent, entonnent et claironnent des airs bien trouvères en la circonstance.
Des quatre coins, des comédiens arrivent en sautant, en riant, en agitant et baladant des portes qui s'ouvrent, se ferment sur leur propre jeu et de nouveau s'ouvrent et se referment. Je passe d'un côté, je ressorts de l'autre et ainsi dans un dédale infernal, les saltimbanques envahissent la scène. De rouge, sont-ils attifés de la tête au pied, maquillage et costume en témoignent. Le regard ne sait où se posait, ne serait-ce qu'un instant. Tout ce joli monde disparait derrière le piano quand l'huis s'ouvre sur le Marquis et sur le Comte.
Deux tables, le couvert dressé, attendent leurs hôtes respectifs. Fabrice, le serveur de l'auberge, passe d'une table à l'autre, frétille le carnet de commande en main, à qui se vantera d'avoir une addition saupoudrée d'un zeste d'auvergnerie ou salée d'un geste de bonté. Le Marquis, personnage grand et sec comme ses bourses peu enclin à laisser le liquide s'écouler inopinément, le caractère vil, intéressé par la chose d'autrui si la matière lui prête service à ne rien ou très peu donner en compensation. Le Comte, généreux jusque dans ses rondeurs, rondeurs méditerranéennes, l'homme repu au repos éructe nonchalamment une fois, deux fois sous l'il révulsé du marquis. Ces messieurs, enorgueillis d'un titre de bourgeoisie, s'embourgeoisent l'esprit à conquérir le cœur de la patronne des lieux, Mirandoline.
Elle, d'aise à sa guise, de choisir avec lequel ou aucun d'entre eux, elle acceptera ou pas protection et cadeaux. Le Chevalier, grossier et odieux personnage qui porte, certes, l'uniforme de l'armée, mais s'avère uniformément d'une grande bassesse quand femme lui parle. Il rétorque l'épée au fourreau : "Ne pas se faire aimer des femmes, donc il les méprise". Fabrice revient, en guise de carnet de commande, demande attention et intention d'amour à Mirandoline. Sans oublier le valet du Chevalier, qui le cheveu sur la langue, s'émoustille à postillonner de regards niais au moindre frôlement de robe de l'aubergiste.
Quid, lequel de ces prétendants obtiendra les faveurs de la Locandiera. Elle, toute de grâce vêtue, s'arrache la pensée à oublier les invectives et autres quolibets à deux écus émanant de ces curs en rut. Entre quatre états d'âmes d'hommes malhabiles face à Dame Locandiera, sur la scène, le ballet des portes perpétuent le jeu des quatre coins. La musique s'immisce dans cette comédie-bouffe, les comédiens s'amusent à sautiller, à virevolter, de-ci, delà .
Le texte file le parfait train, à défaut du grand amour. Le mot frappe toujours juste à qui s'ingéniera à répondre sans détour. Répliques tel le jeu de Paume, marquera le plus de points, celui qui... En tout point, tout honneur. Carlo Goldoni, un siècle après Molière, où sur invitation de la famille royale, il occupe la loge à la Comédie Française et n'en eut-il point été inspiré d'écrire cette pièce destinée à un théâtre populaire. Tout comme Molière, Goldoni se joue des préceptes de la vie à les poser noir sur blanc en des comédies où alternent l'amour, la dérision, l'argent, la velléité des hommes et le précieux des femmes à jouir de conquêtes à prendre possession.
Finalement, l'amour a toujours raison sur le sentiment de dépendance, l'indépendance détrône le capital isthme librement inspiré et provoqué par la peinture sociale, déjà au XVIIe et au XVIIIe siècle. Le registre de Goldoni et Marivaux se rejoint. La mise en scène de Jean-Louis Crinon reflète l'esprit de dérision et d'impertinence voulue par Goldoni en son temps. La Locandiera, satire vénitienne, fit coulée beaucoup d'encre de l'autre côté des Alpes. Elle fut dans l'uvre de son auteur, l'une des rares à se jouer en version Commedia sans dell'arte. La chronique italienne a fustigé Goldoni jusqu'à le laisser fuir en France.
Monsieur Jean-Louis Crinon n'en est pas à son premier essai. Fort d'une longue vie consacrée au théâtre en qualité de comédien, et au cinéma où tout dernièrement il joua aux côtés de Jean-Pierre Marielle dans Le Grand Meaulnes, c'est en metteur en scène talentueux qu'il emmène les Déménageurs Associés interpréter d'autres pièces telle Candide aux quatre coins de la planète.
La Locandiera ainsi présentée au public au Théâtre Berthelot n'aura de cesse de faire parler d'elle en bien et sous tout rapport, s'il vous plait. La Locandiera, un plaisir des yeux pour la mise en scène, le dynamisme et la sincérité des comédiens, la beauté des costumes, la qualité des décors et la musique accompagnant agréablement la pièce. En guise d'adieu, un billet pour un revoir est généreusement remis aux gens à la sortie. Avec Monsieur Crinon, théâtre rime avec théâtre populaire comme naguère le firent Molière et Goldoni. |
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Mis à jour le 14/02/2010
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