Une table, deux lampes éclairent le visage de la comédienne, assise à une table, le livre Les Amantes de Jelinek à la main. Un livre qui raconte l’histoire très ordinaire de Brigitt et Paola, deux femmes dans un petit bourg, quelque part en Autriche, dans les années soixante. Leur destin est tout tracé : ouvrière, au mieux couturière à fabriquer des bas ou des culottes, comme toutes les autres femmes du lieu. Une seule issue pour échapper à un destin qui n’en est pas un, qui est juste la répétition de la vie de leur mère, de leur grand-mère, qui sera celui de leur fille, une seule issue : l’homme, le mari. Brigitt choisira le mariage avec Hans, un commerçant. Paola, elle, choisira l’amour. Elle est raide dingue de Hans, un bûcheron alcolo qui la mettra enceinte : fin du rêve pour la fille-mère. Tandis que Brigitt s’installera dans une existence étroite, croyant se rapprocher du seuil de la bourgeoisie.Pour dire ces naufrages, Elfriede Jelinek, lauréate du prix Nobel de littérature en 2004, déploie son écriture au couteau, distanciée, acérée, acide, redoutablement efficace. Et Brigitte Mougin a choisi de monter des extraits de ce texte précisément pour la beauté corrosive de l’écriture, son rythme très scandé, les mots qui épinglent sans pitié la réalité. Le tempérament de la comédienne, la truculence et l’humour de son jeu tirent le meilleur du style et de la noirceur de l’écrivain. Dès les premières minutes, on est dans le bain avec une description pince sans rire du décor et notamment de son épicentre, l’usine : "L’usine se tapit dans le paysage bien qu’elle n’ait aucune raison de se tapir, elle pourrait se tenir toute droite"... Le message féministe ? "Il n’y en a pas, affirme Brigitte Mougin, tout le monde en prend pour son grade !" Sans doute, mais la facette "cause des femmes" n’a sûrement pas laissé indifférente celle qui a conçu et interprété, avec la compagnie des Trois Volets qu’elle a créée, des spectacles sur Sévigné, Georges Sand, entre autres. Et d’ailleurs, elle avoue ! "J’ai choisi de me mettre en scène sur une chaise, à une table parce que le texte raconte l’histoire de femmes coupées. Elles gesticulent, se débattent comme je le fais dans une sorte de chorégraphie assise, mais elles restent vissées là, dans leur médiocrité, ne partent jamais, ne le peuvent tout simplement pas."On vous promet une soirée délectable, un moment de pur théâtre, dans un lieu étonnant, La Crypte d’Al Hana, autrement dit une minuscule cave voûtée. La soirée peut se prolonger avec la comédienne et ses amis en dégustant des spécialités libanaises dans le restaurant au-dessus.