
|
 |
    
|
|
 |
 |
|
 |
 |
 A l’heure où le Festival d’Avignon croule sous le soleil, le TNO, à Paris, est un asile de fraîcheur, nous permettant d’apprécier – ou de découvrir – un des chefs d’œuvre du Grand Will : Othello. Ce défi, l’équipe de Jean-Luc Jeener l’a relevé.
La noirceur sied à Othello et, dès les premières répliques, les torches flamboient. Cette noirceur est une métaphore : c’est la couleur d’une âme, celle d’Iago qui propage haine et rancœur. Lui, le confident d’un général, défenseur de la patrie. Cette proximité lui faisait espérer la seconde place à côté de lui, mais Othello finalement avait cru de nommer comme lieutenant le beau Cassio, coqueluche de la cité. Iago n’en dit rien, acceptant cette déconvenue, mais en sous-main arme un autre ennemi du général, Rodrigo, lequel espérait épouser la fille du sénateur Brabantio. Desdémone, souhaitant vivre le grand amour, se laisse enlever par celui que tout le monde appelle Le More de Venise. Les deux amants se marient secrètement.
C’est alors qu’Iago suggère à Rodrigo d’avertir le père, le réveillant en pleine nuit. La colère de Brabantio monte jusqu’au doge qui réunit les protagonistes. Le fait d’être passé devant le prêtre éteint toute contestation. La Sérénissime d’ailleurs a d’autres soucis : les Turcs menacent la Méditerranée et présentement Chypre. Pour résister, le doge ne voit qu’un seul moyen : envoyer dans l’île son général. De suspect, Othello devient le héros du jour, avec un triomphe à la clef, déploiement d’étendards et rugissement des trompettes. Une fois sur place, Iago est dans l’ombre du chef. Il poursuit son travail de sape, scrutant tous les points faibles d’Othello à commencer par l’amour inconditionnel qu’il porte à Desdémone. Le guerrier, valeureux sur le champ de bataille, est à la fois fruste et naïf. Aveuglé par la passion, il suffit d’éveiller sa jalousie, laquelle se cristallise sur Rodrigo dont le charme est indéniable. Le poison amer de la jalousie est instillé par petites doses. Iago opère au nom d’une prétendue sincérité.
Othello, d’abord troublé, s’enivre malgré lui de tous ces soupçons. Et ce « chien de l’Enfer » avance maintenant sa preuve. Preuve complètement fabriquée. Othello, stressé comme l’on dirait aujourd’hui, ressent, lors d’une conversation avec sa femme, une violente migraine. Afin de lui porter remède, elle propose de lui bander la tête avec son mouchoir, mais le mouchoir est trop petit. Oubliant de lui rendre, Othello l’abandonne sur un banc. Ce petit carré de soie ne sera pas perdu pour tout le monde … On le retrouvera chez Cassio et la rumeur en fera une preuve d’amour, un gage. L’intéressé ajoutera à cela le poids du sacrilège : ce mouchoir fut un cadeau à sa fiancée. En outre, il appartenait à sa mère, elle-même l’ayant reçu d’une magicienne. Chargé d’autant de sortilèges que de passions, le drame n’a plus qu’à éclater.
Par l’adaptation du texte et sa direction d’acteurs, Jean-Luc Jeener a rajeuni la pièce, lui donnant une vision plus contemporaine. Fini les poncifs ! Othello n’aura plus besoin de se charbonner le visage afin de ressembler à un Maure quand ce n’est pas à un Noir. Certes dans les années 1900 le clown Chocolat a interprété le rôle, spécialement choisi pour la couleur de sa peau, mais le personnage de Shakespeare dépasse cette vision réductrice. Othello est souvent représenté comme un grand type baraqué façon Goliath, sous-entendant qu’il n’a qu’un pois-chiche à la place du cerveau - racisme sous-jacent voulant prouver que le black n’est qu’un amas de muscles… ou un joueur de foot !
Alexandre de Pardailhan, avec son crâne rasé, sa robe d’oriental, son visage pointu, ressemblerait ici plutôt à un ascète. Les qualités qu’on discerne chez lui sont celles d’un fin stratège, d’une grande rectitude morale. Mais le poison de la jalousie mine son comportement et l’enivre petit à petit. On comprend que toute passion génère sa dose de masochisme. Sans contrôle, le corps se venge et il craque dans la crise d’épilepsie qu’Alexandre simule à merveille. Pour reprendre le mot d’Aragon, Othello aime « à en perdre la raison ».
Si Alexandre de Pardailhan est le clown blanc, Olivier Bruaux est exactement son contraire. Campant un Iago cauteleux à souhait, il est le traître par excellence. L’histoire se raconte d’ailleurs à travers lui et le spectateur, tombant dans ses rets, se laisse séduire. Délicieuse Clara Beauvois qui joue une Desmédone pure comme le lys et si jeune qu’elle ne voit pas la mort arriver ! Dan Morgenthaler a la prestance de Cassio, la taille bien prise, le regard enamouré, vrai coq sûr de sa séduction.
Rose Raguel est une Emilie très crédible, partagé entre l’admiration pour sa maîtresse Desdémone et les liens forts du mariage qui l’attachent à Iago. Fabrice Michal joue les conspirateurs d’opérette, donnant à la rumeur tout son poids. Le doge de Jean-Pierre Colombies déploie une autorité mesurée mais discrétionnaire. Comme Venise, on croit en ce pouvoir. Brabantio, interprété par Michel Wyn, est l’autre face de La Sérénissime, un sénateur rivé à ses intérêts, mais à la trogne rigolarde. La mise en scène de Jeener est vive, précise. Elle provoque la catharsis. Et pour reprendre le mot d’Hitchcock, on est fier d’avoir eu peur. |
 |
 |
Mis à jour le 20/07/2019
|
|
 |
|
|