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 « Rien n'est grave, mais tout est sérieux, rien n'est utile, mais tout semble absolument nécessaire, tout est contingent mais surtout minutieusement préparé. »
Antoine de Baecque
L'espace de La Mélancolie des dragons est celui d'une clairière enneigée. Quatre jeunes, assis dans une vieille AX, s'endorment entre une poignée de chips et deux gorgées de bière, un zapping musical de standards de heavy et de rock dans les oreilles. En blousons en cuir, jean et tee-shirt de Metallica, les cheveux longs et mal peignés, les sept hard rockers (trois étaient cachés dans une remorque attelée) semblent avoir sillonné les routes, jusqu'à tomber en panne au milieu de nulle part. Survient alors une femme poussant un vélo avec un porte-bébé. Les hommes sortent de leur véhicule, ils saluent cette cycliste par des bises. L'action commence alors, bien que le spectacle ait déjà commencé mais en panne ! Quesnes aime commencer une pièce « en panne », ce qui place le public face à une question simple : « comment ça marche le théâtre ?», « comment démarrer ? ».
L'action attendait l'arrivée d'Isabelle pour démarrer. Cette dernière va identifier d'où vient la panne mécanique et être la symbolique du spectateur au plateau. Isabelle, ébahie et hyper-réactive, y campe donc le rôle d'une spectatrice idéale, fragile et forte, ouverte, stupéfaite et stupéfiante, qui se laisse bercer par l'enchantement et fait un voyage poético-onirique. Elle est à la fois le Candide et le Monsieur Loyal du spectacle. Une semaine, c'est le délai de l'attente pour obtenir la pièce qui fera repartir leur AX. Pour occuper l'intervalle, les hards rockers décident alors de lui offrir une démonstration de ce pourquoi ils sont partis en tournée: un parc d'attractions mobile qu'ils ont eux-mêmes conçus. Leur matériel, fait de bric et de broc, relève davantage du gadget que de l'ingénierie scénique, comptant machines à neige, à bulles ou à fumée, structures gonflables, bibliothèque itinérante, vidéoprojecteur, ventilateur ou néon rouge. C'est donc dans une atmosphère ambiguë, ni franchement réaliste, ni pour autant fictive, que cette bande de nomades candides, placides et déconnectés, incarnée avec une juste indolence et une candeur dosée, donne envie de croire avec elle à ce conte de fées dévoyé.
« Je défends la notion d'amateurisme. Tout le monde peut s'inventer un parc d'attraction. Nous parlons du théâtre, de la joie de la représentation, mais aussi de la menace sourde et de la part noire de l'humanité. »
Philippe Quesne
Philippe Quesnes, plasticien, scénographe, metteur en scène et directeur du théâtre des Amandiers depuis 2013, nous livre avec ce spectacle créé en 2008 une ode au temps suspendu, à l'action vaine, à l'insignifiance, à la poésie du quotidien, du banal et de l'ordinaire qui devient - si l'on est encore capable de s'étonner – extra-ordinaire. Le « minable » devient alors noble et nécessaire. le merveilleux peut naître de presque rien, si l’on se laisse embarquer dans un rêve commun. « Les hommes invisibles à la conquête de l'inutile », ce serait un beau nom de parc d'attractions ! La troupe se divertit et nous divertit, au sens honnorable du terme, les objets les plus banals (un livre, une bassine, une bâche, une branche d’arbre) sont des vecteurs de poésie. Les comédiens sont tous talentueux et touchants, chacun dans leur fonction minimaliste, I'm still loving you à la flûte à bec restera un moment inoubliable ! Même les deux chiens sont dans un espace-temps, dans des actions qui rendent encore plus magique ce spectacle ! Dans La mélancolie des dragons, c'est un univers parallèle qui nous est offert : déplacement silencieux des comédiens grâce au tapis de neige en coton sous leurs pieds, absence de projection de personnage, parole souvent absente, musique essentielle, scénographie féérico-hivernale, la mélancolie comme panne de création pour l'artiste, le dragon comme figure de la quête entre l'animal merveilleux et la créature menaçante... Voilà les ingrédiens d'une création fantastique qui pose les questions du spectacle aujourd'hui, du merveilleux et du pourquoi on n'y croit plus. Mais il est peu probable d'en sortir sans y avoir cru l'espace d'un instant, grâce au nouveau souffle que nous insufflent ces 7 dragons !
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Mis à jour le 14/12/2015
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